Il y a 60 ans, la naissance successive de la Volksunie et du renardisme faisaient vaciller le tripartisme – social, chrétien et libéral – du pays. Si les noms des partis ont changé, cette difficulté de se réformer est frappante encore aujourd’hui. Entre un état s’affaiblissant, des régions de plus en plus désireuses d’autonomie, et la montée des partis communautaires, confédéralistes, voire nationalistes, les tensions sont omniprésentes. Elles déstabilisent toujours la vie politique, partagée entre le besoin de faire face à ses engagements envers le peuple, et la nécessité de trouver des solutions pour se maintenir dans la forme qu’elle entend.
La politique belge depuis 2007 a d’abord été, jusqu’à 2011, la période d’une crise de la gouvernance, caractérisée par une infinie négociation pour former un gouvernement viable, où chaque groupe linguistique possède une majorité à la chambre des représentants. Entre les aspirations divergentes de part et d’autres des régions – unitarisme, fédéralisme et confédéralisme – et les divisions historiques entre communautés linguistiques, couplé au manque de renouvellement des personnalités politiques dans tout cette période, et aux démissions successives, la situation s’est enlisée jusqu’à former un gouvernement, celui de Di Rupo, qui aura tout juste le temps de naître avant de nouvelles élections.
Malgré la « sortie de crise », ses retombées se font très vite sentir, avec l’arrivée de situations inédites dés 2014, comme le CDH refusant de participer aux négociations, ce qui générera la « coalition kamikaze » avec seulement le MR pour représenter la communauté francophone, l’absence également du PS pour la première fois depuis 1988, avant que ce ne soit la N-VA qui démissionne en 2018, suite au pacte de Marrakech, signant la fin du deuxième gouvernement de Michel 15 jours après son commencement… Enfin aujourd’hui, dans une situation mondialement inédite, la situation au niveau fédéral est encore exceptionnelle puisque le gouvernement Wilmès s’est vu confier les pouvoirs spéciaux.
Cette période étant marquée par une instabilité profonde, nous pouvons qualifier ces gouvernements d’exceptions, puisque rare sont ceux qui ne se sont pas faits au prix de démissions des premiers ministres, des partis, d’une asymétrie dans les représentants des groupes linguistiques, ou tout simplement qui ont tenu du début à la fin de leur terme.
La crise des élites
Parallèlement, depuis 2007, nous voyons une méfiance grandissante envers la particratie : on lui reproche ses jeux de pouvoir, au détriment d’une politique active tournée vers les enjeux actuels, qui ne sont plus seulement affectés aux trois clivages classiques, mais à de nouvelles valeurs post-matérialistes. Les montées des nationalismes, notamment flamands, des populismes, des extrêmes, la lenteur des décisions face à une urgence grandissante, tout ceci participe au fait que la Belgique vit sans doute un moment clé, transitif.
L’une des causes de la crise de confiance et de légitimité que vit notre modèle de démocratie représentative élective actuelle est la professionnalisation de la politique. Cela crée un entre-soi politique qui sépare les élus des citoyens, empêchant la représentation de leur diversité, notamment au niveau du genre, de l’âge, et du niveau d’étude. On observe des parlementaires qui sont majoritairement des hommes plus âgés, avec un niveau d’étude plus élevé. En effet, sur les 89 élus du parlement bruxellois, la moyenne d’âge est de 45 ans, avec 55% d’hommes et 45% de femmes. 25 d’entre eux ont entre 18 et 39 ans, 53 ont entre 40 et 59 ans, et 11 ont plus de 60 ans. Concernant le niveau d’étude, le chiffre est unanime : 64% d’entre eux ont un master universitaire.
S’adapter aux changements de société
Néanmoins, déclarer que cette instabilité signera la fin du caractère consociatif de la politique belge est sans doute, au moins trop tôt. Considérons déjà que l’instabilité gouvernementale n’est pas quelque chose de nouveau en Belgique – au contraire cela relèverait davantage d’un symptôme immanent -, et que la situation depuis 2007 fait suite à une très longue période sans élections anticipées, expliquant d’autant plus l’instabilité gouvernementale à ce moment-là. Par ailleurs, instabilité n’est pas synonyme d’ingérence : en attestent les prises de décisions pendant la période en affaires courantes.
La montée de l’individualisme, les nouvelles sensibilités socio-politiques, les nouveaux lieux et formes d’engagements ont amené une dépilarisation et une re-modulation de l’échiquier des familles politiques, une érosion des clivages, une désaffection de la jeunesse pour la vie politique traditionnelle. Néanmoins, le changement fondamental ne se situe peut-être pas dans une refonte constitutionnelle radicale, supprimant le gouvernement de coalition et la particratie, mais plutôt dans la nécessité d’un passage rapide d’une inertie prudente, à une anticipation réfléchie, pour s’adapter aux défiances populaires, à la fragmentation des attentes et des intentions des citoyens, des partis, et des enjeux locaux, fédéraux, et européens. Le premier pas, nécessaire et urgent, est de renouer, en proximité, en écoute, en action, avec tous les acteurs de la vie politique… Et non plus seulement des partis.