La crise que nous traversons a mis en exergue les graves failles du système politique et économique européen. Entre stratégie de la perte économique minimum, dénis des experts internationaux, montée des fascismes, loin de penser solidarité, on observe surtout en Europe une stratégie de l’individualité et une recrudescence du principe de souveraineté. À quel prix ?

Le fait est que l’on a compté sur la souveraineté des états pour répondre à une problématique globale. Ainsi donc, entre domination interne et indépendance externe, ces décisions ont catalysé le repli nationaliste et la xénophobie des Etats européens, reniant complètement la solidarité nationale, jusqu’au refus pour la France et l’Allemagne d’envoyer du matériel médical à l’Italie. On comprend bien ici le sens de la volonté des états de maintenir leur compétitivité, whatever it takes.

Et c’est cette “persistance du principe de la souveraineté étatique dans les affaires mondiales”, nous dit Sueri Moon, co-directrice du Centre de santé globale de l’Institut de hautes études internationales et du développement, qui explique la situation dramatique d’aujourd’hui. Ainsi, une erreur qui explique notre retard a été de ne pas avoir eu recours plus tôt à l’OMS, qui aurait pu aider dès janvier, par ses recommandations, fiables et pertinentes, dont la principale “ne pas abandonner le dépistage systématique et le traçage des contacts des personnes testées positives”.

Mais face au spectre d’une crise économique catastrophique, les Etats ont d’abord préféré tabler sur une atténuation, un retardement de l’épidémie, avec ce plan : arbitrer au jour le jour entre impératifs sanitaires et économiques, avec l’objectif de maintenir le plus longtemps possible l’économie en marche.

Pour le justifier, on a pu donner l’explication de la théorie du nudge, de Thaler, bien qu’elle n’ait été étayée par aucune donnée scientifique : une mesure sévère aurait moins d’effet dans la durée pour l’individu qu’une incitation qui le laisserait conserver son libre-arbitre. Mais il est aisé de voir que derrière ce libéralisme social, il y a toujours le même objectif : repousser tant que possible toute mesure qui pourrait ébranler l’économie.

Ce plan s’est donc traduit par un refus de la contrainte individuelle et la confiance dans certains gestes conseillés… avec pour conséquence l’échec qu’on connaît. Ainsi, une fois que les mesures ont prouvé leur inefficacité, le confinement s’est enfin imposé… Et avec lui, un appel d’autant plus fort à la souveraineté des états. Le 12 mars, Emmanuel Macron a soutenu qu’à la logique du marché devait se substituer celle de l’hôpital public… avec à la clé un argument capital à la souveraineté de l’état : la nécessité de reprendre le contrôle sur le service public. 

La souveraineté, c’est la supériorité de l’état sur les lois, obligations et engagements, tant dans ses relations internationales qu’avec ses propres citoyens. En somme, le court-circuit, sans limite et sans sanctions, du contrôle de la part des citoyens. Or le service public lui, n’est pas une faveur de l’Etat, mais un dû, fondé sur le principe que l’Etat a pour mission d’assister les citoyens avant que de s’en faire obéir. On parle donc de responsabilité publique, incompatible avec le principe de souveraineté. C’est ce droit tenu pour fondamental par les citoyens des pays européens qui les font applaudir de leurs fenêtres les hôpitaux, et en aucun cas leur soutien à la puissance politique. 

Il faut une institution politique à un niveau mondial de la santé, du climat, de l’économie, de l’éducation, de la culture. Sans une ferveur, globale, soutenue, immédiate, admettant une fois pour toutes l’incapacité de notre système à aller plus loin, et l’absolue nécessité, pour tous, non pas de soutenir la croissance, l’économie de marché, l’augmentation du pouvoir individuel mais l’action pour la préservation du vivant, il semble que nous n’ayons plus d’autre occasion de penser au changement. Nous le subirons, avec toutes les pertes terribles que l’on ne sait encore imaginer.

  • DARDOT Pierre, LAVAL Christian, “L’épreuve politique de la pandémie”, Mediapart, 19 mars 2020, https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190320/l-epreuve-politique-de-la-pandemie?fbclid=IwAR1-jFeAlDzrg8INNZM2yuH5FRgJDpb_oychk4RfWOWx-g3mcj5p5I2sgk4
  • Entretien avec Suerie Moon : « Avec le coronavirus, les Etats-Unis courent au désastre »,  Le Temps, 12 mars 2020 https://www.letemps.ch/monde/suerie-moon-coronavirus-etatsunis-courent-desastre

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