C’est la conjecture d’une crise de la modernité, engendrant une crise identitaire, et d’une crise de confiance dans les élites qui a développé l’attachement à l’information de proximité pour les citoyens. Dans cette perte de repères, la seule voie qui s’impose est celle de l’authenticité, qui apparaît en réalité comme un repli communautaire autour de l’attachement à une certaine idée du pays. Se font alors entendre deux besoins : celui d’entendre des solutions et celui d’être rassuré.

La mission du journaliste n’est pas de rassurer la population, puisqu’elle implique la promotion par celui-ci de l’image plaisante d’une identité performative, plutôt que d’une identité de fait, basée sur la recherche de vérité. Elle implique également, comme le prouve le texte un peu plus loin en parlant d’une presse jouant “sur le terrain de la morale”, l’ambiguïté autour de la frontière entre engagement journalistique et expression d’opinions, parti pris assumé.

 

L’ambiguïté se trouve aussi dans la nouvelle mission dont s’investit l’information de proximité, celle d’attaquer les puissants au nom des faibles. Si le journalisme trouve sa nécessité dans la parole qu’il donne à ceux qui sont dans l’ombre, qui sont minoritaires ou fragiles, poser cette formule comme nouveau principe fondateur peut sembler quelque peu indécent lorsqu’on sait que la presse appartient – et de plus en plus – à des grands groupes, qui font de leurs propriétaires sinon les plus riches les plus influents, et donc les frais puissants. Au regard de la grande popularité dont jouit à ce moment là l’information de proximité, n’étant déjà plus l’apanage de la presse locale et régionale, il semble que cette revendication se pose plus comme une accroche de communication qu’autre chose.

 

Pour définir les enjeux auxquels doit répondre le journalisme de proximité, il s’agit à la fois de se rappeler d’où est venu ce besoin à sa popularisation, et dans quel contexte socio-économique évolue t’il maintenant. À cet égard, il existe trois enjeux principaux auxquels le journalisme de proximité devrait répondre, et qui correspondent aux trois forces dont il fait preuve : l’identité, la proximité psychologique et culturelle, la proximité physique.

 

Identité

 

Ces besoins sont nés d’une difficulté à voir le monde tel qu’il est. En résulte donc une volonté d’en reprendre le contrôle, pour les citoyens comme les élus locaux, par la valorisation de la collectivité, autrement dit de leur identité. Si le journalisme de proximité fait de l’affirmation identitaire un de ses points forts, la valorisation du patrimoine n’est, encore une fois, pas sa mission. Le problème arrive lorsque cette mission devient un frein à la recherche de vérité, et que l’information, soumise à une pression sociale, d’une part par l’audience, qui se verrait trahie si leur media allait à l’encontre de ses intérêts, d’autre part par les élus locaux, ne pouvant être déçus par une information qu’ils subsidient, ne fasse finalement plus que s’autocensurer pour adhérer avec complaisance à une pensée locale.

 

L’affirmation identitaire est une force, et une caractéristique du journalisme de proximité, mais elle ne doit pas se faire au prix de la cohérence et de la vérité, surtout à une époque qui voit monter autant de mouvements régionalistes. L’enjeu ici est celui de l’indépendance, et de la souveraineté de la vérité sur les intérêts et désirs du public ou des autorités. 

 

Identification

La proximité psychologique semble avoir été le point d’orgue à la popularisation du journalisme de proximité, le public exprimant une défiance grandissante à l’égard d’une élite et de leurs informations désincarnées et institutionnelles. Le journalisme de proximité se pose donc dès le début comme un acteur anti-élite, un acteur du peuple. Cette carte d’identité repose notamment sur l’affabilité dont doit savoir faire preuve ses représentants, leur empathie, leur réel intérêt et leur proximité émotionnelle pour le quotidien de chacun.

 

Or, un peu à la manière dont l’a révélé le mouvement anthropologique fonctionnaliste de Malinowski, il faut admettre que la proximité avec l’objet d’étude est à double tranchant. Plus on est proche, plus on est expert de ce dont on parle, mais plus également on est amené à se remettre en question sur notre perception, forcément faussée par notre attachement au milieu observé. À l’enjeu de l’indépendance vis-à-vis des autres acteurs, vient donc ensuite celui de l’indépendance de ce journalisme envers lui-même : étant directement concerné, impliqué, il doit veiller, plus qu’ailleurs, à ne pas céder à l’expression d’opinion, au repli communautaire, au nombrilisme, à l’ignorance des autres réalités que la sienne. Sa proximité doit rester une chance de se rapprocher de la vérité, non pas une oeillère. Cet enjeu est donc celui de la déontologie, de la remise en question, qui nécessite ironiquement une distance dans la proximité, pour que l’information s’insère toujours dans un contexte.

 

De la transition numérique

 

Enfin, les conditions de vie de la presse actuelle lui impose un nouveau défi, le plus grand sans doute : se réinventer. En effet la presse doit aujourd’hui faire face au à deux crises – sans compter que celles précédemment énoncées n’ont pas forcément disparu – celle de l’information, et celle des revenus, directement corrélées à la révolution d’internet. La crise de l’information a eu pour effet une homogénéisation, c’est à dire un alignement des informations entre les différents médias, mais aussi une intégration, les plus petites rédactions  – ce qui est souvent le cas du journalisme local – ne pouvant survivre seules et ayant été contraintes d’être rachetées par des grands groupes. 

 

La concurrence des géants du web offrants une information gratuite, et l’apparition des nouveaux acteurs – user generated content – a resserré encore davantage l’étau autour du budget de la presse.

Enfin, avec la révolution d’internet est venue une révolution des usages et donc des attentes : le consommateur averti veut une information plus rapide, plus visuelle, plus émotionnelle, plus pratique et personnalisée.

 

A la nécessité du physique

 

Or, face à tous ces défis, le journalisme de proximité, et notamment local, peut opposer plusieurs atouts, sur lesquels il doit absolument capitaliser pour survivre, notamment sa proximité physique.

 

L’homogénéisation de l’information rappelle que le journalisme de proximité a la chance d’avoir accès à un contenu exclusif et exhaustif, grâce à sa maîtrise du lieu, de ses enjeux, et de ses habitants. Pour cela il doit absolument tirer parti de son avantage d’être le plus apte au terrain et donc à l’investigation, tout en respectant, toujours, la cohérence de sa zone de couverture pour générer un sentiment positif de communauté autour du média.

 

Pour se démarquer, il faut avoir un contenu inédit, mais aussi innover, et en cela, le journalisme de proximité local est avantagé par sa petite taille, qui lui permet de s’adapter beaucoup plus facilement. Le mojo est un exemple, mais l’on peut aussi penser aux initiatives comme Médor, qui a développé le concept de journalisme itinérant. S’il semble miser à contre courant sur des formats longs, il garde l’essentiel : une identité affirmé, une proximité psychologique et physique, des formats misant sur le visuel et l’émotion.

 

Enfin, dans une perspective de ré-invention, le journalisme de proximité pourrait profiter de son ancrage sur le terrain et de sa relation on au public pour ne plus subir mais construire un nouveau lien avec le “user generated content”. Il faudrait bien sûr veiller aux éceuils précédemment évoqués, mais cela permettrait de retisser un lien avec la communauté, basé sur l’échange et la coopération plutôt que la compétition et la défiance.

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