Ces dernières années ont vu émerger un nouveau courant cinématographique : le cinéma positif.  Porté par des figures telles que Al Gore, Yann Arthus Bertrand, Alexandre Desreims ou Cyril Dion, il oeuvre, avec les populations, les ONG, des entreprises, des scientifiques, dans l’intérêt des générations futures, en alertant sur les dangers et en montrant les solutions qui existent pour protéger l’humanité. Ce nouveau cinéma est poreux, source de changements et de questions sur la nature de l’art, sa place, sa fonction, son pouvoir. 

Si Cannes est la vitrine idéale où remarquer les changements, l’année 2019 a été il me semble un tournant, avec la 4e édition de la Semaine du Cinéma Positif, la création de la tribune Résister et Créer, la palme d’or décernée pour la seconde fois d’affilée à un film social, et de manière générale, la remise des prix les plus prestigieux aux films sociaux – Prix du jury pour Les misérables de Ladj Ly, Grand prix du jury pour Atlantique de Mati Diop, prix de la mise en scène pour Le jeune Ahmed des Frères Dardenne. 

Comment le cinéma peut aujourd’hui se faire le chantre d’un nouveau monde ?  Plus encore, comment le cinéma, ce monde dans le monde, peut et doit-il rétro-agir sur ce monde qui l’a créé ? Au stade où nous en sommes, celui où les énergies fossiles sont quasiment épuisées, où il faut nourrir 7 milliards de personnes, où la moitié des espèces vertébrées ont disparu, où les océans commencent à monter, où le monde est encore guidé par la consommation et de la croissance, l’image cinématographique n’a t’elle pas aussi le devoir de favoriser au maximum de nouveaux modes de vie ? 

D’ailleurs, faire un film aujourd’hui n’a plus rien à voir avec faire un film il y a 20 ans. Le financement participatif, les festivals bien sûr mais aussi les plateformes internationales, au coût réduit, qui offrent une visibilité inédite à des projets qui révolutionnent la production (comme Paris est à nous, sur Netflix). Tout ceci est naît d’un besoin urgent d’images, et converge vers un renouveau cinématographique, adapté aux nouveaux enjeux du monde contemporain. 

La performance de l’image

Selon William Mitchell et sa thèse du pictorial turn – dont les thèses ne nous sont parvenues en France que depuis une dizaine d’années -, la pensée de l’image ne peut pas se séparer d’une pensée du texte ou du discours. Selon Horst Bredekamp et Alain Dierkens, l’image est performative, c’est-à-dire agissante.

Evidemment que nous connaissons le pouvoir des images, plus que jamais d’ailleurs. Nos écrans sont devenus part de nous mêmes. Mais en étant noyée, n’est-il pas plus difficile pour une image cinématographique d’être entendue, réellement entendue ? Notre patience se consume en peau de chagrin, et notre tolérance au terrible semble à son maximum. Dans ce contexte, et si l’on est persuadé que le meilleur moyen de changer les moeurs reste l’image – et la voix – cinématographique, la question se pose : à travers quels dispositifs – économique, politique – sur quels supports, par quels formats faire émerger une image cinématographique aujourd’hui ? Et comment augmenter son potentiel politique pour lui donner un réel pouvoir performatif ? 

Le cinéma peut sauver. Il peut sauver de l’oubli, ce à quoi s’est consacré le réalisateur cambodgien Rithy Panh, toute sa vie en la dévouant à la mémoire du génocide des khmers rouges. Mais il peut aussi sauver tout court. Lorsqu’on réfléchit au pouvoir de l’art, et en particulier du cinéma, on passe forcément par l’art thérapie, qui développe la résilience psychologique grâce à la pratique artistique. C’est le cas du camp artistique du docteur Lara Kalaf, au Liban, qui utilise la production cinématographique comme tribune et voix d’enfants réfugiés de la guerre. Elle explique qu’il était possible de développer les aptitudes des adolescents en se servant de la caméra comme d’un instrument de connexion, que la pratique artistique stimule le cerveau pour empêcher les connexions de mourir, ce qui peut-être le cas chez les personnes traumatisées.

  • DIDI HUBERMAN Georges, Images malgré tout, éditions de Minuit, 2003
  • BARTHES Roland, Mythologies, éditions du Seuil, 1957 
  • SONTAG Susan, Devant la douleur des autres, éditions Christian Bourgois, 2003
  • Les carnets du bal, Que peut une image ?, éditions Textuel, 2014 
  • Les carnets du bal, Usages géopolitiques des images, éditions Textuel
  • Les carnets du bal, L’image, évènement intérieur, éditions Textuel, 2017  
  • CAILLET Aline et POUILLAUDE Frédéric, Un art documentaire, Enjeux esthétiques, politiques et éthiques 2017 
  • MITCHELL William, Iconologie : Image texte et idéologie, éditions Les prairies ordinaires, 2009 
  • MITCHELL William, Que veulent les images ?, éditions Les presses du réel, 2014
  • LUGON Olivier, Le style documentaire, éditions Macula, 2002

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