Banksy est au sommet. Il est l’artiste de street art le plus connu et l’artiste le plus côté au monde. Que l’on soit initié ou non, son nom ne nous est jamais inconnu. Anti-militariste, anti-capitaliste, défenseur des réfugiés, de la cause animale, Banksy fait de la résistance.
Ecriture, film, sculpture, performance, aucune forme ne l’arrête. D’ailleurs, il est aussi pirate, d’un CD de Paris Hilton ou du MOMA. Mais plus que tout il change la rue. Des murs de Gaza, d’un zoo, de Disneyland ou de Calais, il encre les murs de rats, singes, policiers, soldats, enfants, de slogans tranchants entre le réel affreux et la satire joyeuse. Ses oeuvres in situ – dédiées à leur espace d’accueil – sont des armes de résistance massives, visible par les victimes de l’oppression, leur criant que le silence ne se fera jamais sur lui.
Le prix de l’art
Le 3 octobre 2019, l’une des ses oeuvres, Devolved parliament, a été mise aux enchères à la maison de ventes Sotheby’s. Il s’agit de la plus grande peinture jamais réalisée par Banksy. Pour comprendre l’effervescence provoquée par cet évènement, il faut se remémorer la vente aux enchères du 5 octobre 2018 à Sotheby’s également du tableau Girl with balloon, dont Banksy avait organisé l’autodestruction.
La maison de vente avait retenu la leçon et avait donc augmenté son service de sécurité et sa vigilance. Mais encore une fois, l’issue a été bien différente de ce qui était espéré. A un mois seulement du dernier volet de ce qui était devenu un exténuant feuilleton politique, la situation de crise inédite du Brexit a offert au tableau une lecture troublante, prémonitoire et satyrique. Estimé entre 1,5 et 2 millions de livres, celui-ci a été vendu pour 9,9 millions de livres.
Devolved Parliament est une métaphore de la politique, rassemblant des chimpanzés pour débattre de quelque chose qu’ils ne comprennent pas. En débattant de millions autour de cette oeuvre, la mise aux enchères elle-même est devenue une mise en abîme du message de l’oeuvre. Pourtant, est-ce qu’être une icône anonyme du street-art n’était pas la meilleure façon de manifester pour la démonétisation de l’art, quand chaque œuvre et chaque artiste deviennent une action sur laquelle on mise ?
Le prix sépare ceux qui ont droit à la culture et ceux qui n’y ont pas droit. En citant Robert Hugues, Banksy déclare sur Instagram suite à la vente de sa toile “Imaginez que n’importe quel livre du monde vale un million de dollars. Imaginez l’effet catastrophique que cela aurait sur la culture.” Evidemment, rêver d’un monde où la culture est gratuite, c’est la condamner à mort. Mais si vous trouvez que la culture coûte trop cher, essayez l’ignorance.
Les illusions populaires sur l’art
Comme le dit V dans le film éponyme, comme le dit Ernesto Guevara, tout commence par une idée. Et c’est justement une idée qui explique pourquoi le capitalisme est toujours gagnant face à la culture : tant que nous consommons, nous sommes passifs. Or l’art n’a rien à voir avec la passivité. Alors il faut vendre au mieux cette passivité, et pour cela, enraciner dans le peuple l’idée que la culture n’est pas pour lui.
L’idée que c’est trop compliqué. On n’a pas les outils. Et puis il faut réfléchir, être concentré. On n’a pas envie. On veut de l’efficace instantanément. Et puis c’est cher. Mais tout ceci est faux. Ce n’est pas l’argent qui nous manque lorsque nous le trouvons pour autre chose, surtout aujourd’hui quand il existe tant de bons plans culturels en tout genre. Bien sûr il y a celui qui n’a pas les moyens. Celui qui vit dans un espace désert par la culture. Mais justement, défendre l’idée que délaisser le gouffre de la consommation matérielle pour lire, voir et entendre plus de choses, c’est participer à l’idée de l’abolition des strates sociales par le pouvoir commun.
C’est faux de dire qu’il faut une éducation, presque une extraction bourgeoise pour comprendre une mise en scène moderne, comme Pommerat. C’est faux de croire qu’il faut faire un effort pour aimer Turner autant que De Vinci. C’est faux de croire qu’il est inutile d’écouter Handke nous parler dans Par les villages ou Sarah Kane dans 4.48. C’est faux de croire que l’art est inutile. Une femme avait raconté à Kiarostami que son film Le goût de la cerise l’avait fait renoncer au suicide. Dans les camps de réfugiés, des enfants traumatisés par la guerre reparlent grâce à des ateliers artistiques. Une chanson latine, le visage d’un peintre espagnol éveille les luttes sociales, fait naître des révolutions.
Tout ne dépend que de nous
La science a cherché à savoir ce qui pourrait expliquer le développement prodigieux de notre évolution depuis les singes. La réponse serait avant le langage, dans l’apprentissage par imitation, qui serait à la base du développement des cultures humaines. Ainsi l’anthropologue Donald a établi que ce serait une boucle amplificatrice entre complexification de la société et accroissement cérébral qui a fait franchir au cerveau le stade de l’humanité. Si l’évolution génétique et l’environnement y tiennent une place importante, l’auto-détermination est donc capitale dans la construction de nos capacités et notre perception du monde. Cela signifie que plus nous vivons des choses qui nous ouvrent au monde, qui nous connectent à lui, plus nous développons, façonnons, dirigeons notre cerveau. Cela signifie que le langage commun de la culture est le moteur de l’évolution humaine.
Souvenons-nous en, en pensant à celle que nous souhaitons pour notre avenir. Souvenons-nous de l’art accessible, intelligible, non-censuré de Banksy, qui s’acharne à faire fléchir, peut-être d’un dixième de degré, l’entropie de l’univers vers quelque chose d’un peu plus beau.
- BELLORINI Jean, Site web théâtre Gérard Philippe, Saison 2014/2015, (consulté le 25/11/19), https://www.theatregerardphilipe.com/cdn/vous-trouvez-que-la-culture-coute-cher-essayez-l-ignorance
- DONALD Merlin, Human Cognitive Evolution: How the Modern Mind Came into Being
- The New York Academy of Sciences, 12/05/10, Shifting Realities: Myths, Models & Morality, The Contingent Nature of Reality {consulté le 26/11/18}